Vouloir être ce qu’on n’est pas Par Mary Teuw NIANE
Nous aimons arborer ce que nous ne sommes pas, ce que nous n’avons pas, ce que nous ne pouvons pas, ce qui ne nous appartient pas, le visage de l’autre jusqu’à prendre le risque de l’humiliation, de la prison, du bannissement et de l’exil forcé.
Les hommes âgés pour cacher leurs cheveux qui blanchissent inexorablement passent chaque matin beaucoup de temps à les faire disparaître en adoptant la boule à zéro, en se teignant les cheveux ou en enfonçant un bonnet sur leurs têtes. Ils oublient que le cou et le visage dévoilent indiscrets leurs âges avancés.
La circulation si dense en début du mois s’éclaircit et s’allège après le quinze du mois. Ils sont nombreux les femmes et les hommes qui achètent une voiture coûteuse pour l’apparat et qui courent aux basques des parents, des amis et des amis des amis pour trouver du carburant pour parader.
Les hommes achètent des costumes élégants et chers, des montres bracelets rares, des chaussures à la mode, des lunettes de grandes marques, des ceintures en cuir rares, des porte-monnaies de Paris, etc., alors qu’ils laissent leurs femmes et leurs enfants sans le ravitaillement alimentaire mensuel et la dépense quotidienne. Les fournitures scolaires et les frais de scolarité des enfants sont les cadets de leurs préoccupations. S’ils réservent des cérémonies funéraires grandioses à leurs parents, ils se soucient très peu de les soigner lorsqu’ils sont malades.
Les femmes cherchent les nouveaux tissus à la mode, la perruque aux cheveux naturels, les chaussures du dernier arrivage, le tissu basin riche teint du Mali, les parures en or qui éclaboussent la vue. Elles dissimulent mal les cils artificiels, les fausses hanches , les chaussures qui rallongent leurs tailles, le teint blanc ou zébré de leur corps que trahissent les articulations noires des doigts de leurs mains. Les baptêmes, les mariages et les conférences religieuses deviennent des lieux publics où elles exhibent des liasses de billets de dix mille francs CFA. À la maison elles laissent souvent des enfants mal habillés, sales, mal nourris et peu éduqués.
Le comble, notre société, pervertie par certaines traditions royales encore prégnantes dans la conscience collective, attend des autorités, des kilifa qu’ils soient riches, qu’ils apportent leur soutien aux personnes défavorisées, qu’ils sachent résoudre les problèmes individuels qui leurs sont soumis, qu’ils arrosent de gros billets de banques les myriades de griots qui les suivent, qu’ils aient de grandes et belles maisons richement équipées, qu’ils roulent dans de grosses voitures. Les autorités doivent sortir du lot!Une autorité dans une foule doit être visible par tout le monde. Une autorité ne doit pas être humble! C’est comme si l’autorité pour se faire connaître et reconnaître doit être arrogante.
Évidemment le corollaire inévitable est l’accaparement des biens communs au service du train de vie, du confort, de l’apparence et de la famille du kilifa, de l’autorité.
Hier l’individu pauvre, sans aucune considération sociale, en peu de temps est devenu subitement riche, adulé, dépensier et propriétaire d’un patrimoine sorti tout droit de la caverne d’Alibaba.
La transformation de notre pays passera par l’éradication de ces tares qui sont les ferments de la corruption, de la concussion, du népotisme, de l’inégalité, de l’iniquité et de l’injustice.
La volonté d’apparaître pour ce qu’on est pas est aussi le cancer qui détruit nos institutions et porte à des niveaux de responsabilité des personnes qui n’en ont ni la compétence, ni l’expérience et encore moins le mérite.
Évidemment le pouvoir politique en porte la responsabilité première.
Cependant si elle est une bataille que doivent porter en premier les autorités politiques, elle concerne en réalité toute la population sénégalaise.
Ayons le courage d’être ce que nous sommes pour vivre dignement et mourrir heureux.
Dakar, lundi 5 septembre 2022
Mary Teuw Niane